Le thème de la transgression et de la décadence apparaît souvent dans mes échanges. J’écris et j’interviens sur des sujets tels que le monstre ou le vampire, et on ne peut répondre à ces thématiques que par l’approche de la transgression.
Ce mot, tout comme sa voisine la subversion, est souvent très mal compris, et il convient donc de les définir :
Transgression : La transgression est l’action de transgresser, de ne pas respecter une obligation, une loi, un ordre, des règles. Par extension, une transgression désigne le fait de : ne pas se conformer à une attitude courante, ou interprétée comme naturelle. (Wiki)
Subversion : La subversion est un processus d’action sur l’opinion, par lequel les valeurs d’un ordre établi sont contredites ou renversées. (Wiki)
Ainsi, que ce soit pour transgresser ou subvertir, il faut un postulat de base, des règles, un cadre, une société et une normalité, qu’on ne respecte pas (transgression) voire à laquelle on s’oppose volontairement (subversion).
Dès lors, le domaine de la transgression n’appartient pas à celles et ceux qui font partie de la classe dominante. Beigbeder, Matzneff, Vivès, que l’on présente comme subversifs, ne le sont en aucun cas. Ils sont les produits d’une société permissive envers les agresseurs, les sexistes et les violeurs, ils représentent l’ordre établi et les abus de celui-ci. Les valeurs sont aujourd’hui bousculées, si bien que des actes autrefois valorisés et présentés comme un peu exagérés sont attaqués. En réalité, c’est un abus de pouvoir et de position dominante qui est mis en cause, et c’est donc là à l’exact opposé de la transgression. La bourgeoisie ne transgresse pas, elle se complaît.
J’ai déjà parlé longuement des trigger warnings, et le thème de la transgression y répond directement. Lorsque nous sommes artistes, nous faisons face à un ordre établi, que nous pouvons ou non affronter, auquel nous pouvons ou non nous opposer. Ne rien faire, produire des œuvres qui ne bousculent pas, ce n’est pas un non-engagement politique, tout comme ne rien faire n’est pas un acte apolitique, car il n’existe pas d’actes apolitiques. Écrire ou réaliser des œuvres qui n’interrogent pas le système, c’est valider le système, ni plus ni moins, et ces artistes sont pour ma part des opposants politiques. Il n’y a pas besoin de militer activement, les valeurs se retrouvent aussi bien dans des pamphlets virulents que dans des romances d’été, et cela n’a pas besoin de relever de l’engagement conscient.
Bousculer n’est pas agréable ni confortable. On se retrouve face aux réactionnaires, à l’État, aux éléments normatifs de la société, mais aussi face aux militants progressistes qui ne comprennent pas toujours que nous interrogions les marges et explorions les limites plutôt que de donner un message clair et radical, qui ne comprennent pas que nous posions parfois des questions sans donner de réponses. Le puritanisme américain a été importé en masse et il se retrouve de tous les côtés de l’échiquier politique, si bien que transgresser ne laisse personne indifférent et que l’on peut se retrouver sous de nombreux feux. Cela dissuade beaucoup d’artistes, d’éditeurs et d’éditrices.
Cacher l’horreur de façon puritaine ne la fait pas disparaître, les trigger warnings et les levers de boucliers ne protègent que les ordures, jamais les victimes.
En tant qu’artiste, je continuerai d’explorer les limites. Plus on me dira « non », plus j’irai loin, plus je dérangerai. Je le ferai par l’horreur, par la poésie, par la romance, par la douceur et la violence, par la nudité et la sexualité, par tous ces mots-clefs interdits sur les réseaux que je brandis tel une oriflamme noire. Reprendre son pouvoir de femme, l’afficher, refuser les cases, refuser d’être la femme au foyer ou la bonne militante, ne pas être la bonne gouine ni la bonne trans, s’explorer, tracer son chemin et arpenter les frontières.
Transgresser et subvertir.