Poèmes

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Le Cénotaphe de notre amour

Mon corps est un cimetière, et mon cœur, le cénotaphe de notre amour, aussi vide que mon âme désertée.

La puissance sanctifiée de désirs ensauvagés

Crédit photo : Mike Newbry

Je suis la puissance sanctifiée de désirs ensauvagés, une boule de feu de lave de flammes contenue dans une écorce de bronze, rougie par les cieux amoureux de dieux vaniteux.

J’arpente le monde convenu, les yeux perdus vers un ailleurs, celui de la poétesse qui traverse les forêts symboliques, les labyrinthes ataviques, le corps strié de rêves incarnés.

Je vis en poésie, je respire les mythes, je ne suis ni femme ni humaine, mais fée et sirène, vampire et dryade, banshee au cri de mort et sorcière ivre de plaisir. Mille métaphores me drapent et me dissimulent, artefacts sacrés masquant mon nom le plus secret, celui que je ne révèle qu’à ma belle amante dans un cri extatique.

Je deviens paradigme, autre, monstresse et follesse, hystérique aux yeux des hommes que je répudie d’un regard, tristes sires à la pensée abrasée par la mortifère réalité.

Je disparais de la matérialité, mes yeux se révulsent et se retournent vers moi, témoins de mon intériorité, une illumination des sens, voyage intime, chair et os et tendons et muscles et artères et tissus et lymphe et nerfs et cartilage et tout un langage transfiguré où l’or se déverse, cascade auto-érotique irriguant le Nil de mon essence, terre sainte où je t’attends, toi qui braveras les périls de mon corps pour me trouver et te rassasier, vampiresse sacrée aux crocs plantés dans ma gorge déchiquetée.

Alors, et alors seulement, je t’offrirai chacun de mes mots, vénération intime au goût de miel, ichor de rêves, sans nul pareil.

Bête noire de mon adoration

Jadis endormie par la peine, la bête sort de son triste repos. Sa gueule béante s’ouvre sur la douce lune et la croque toute entière. Plaie à vif d’où s’écoule le miel liquoreux des dieux. Ses yeux rougeoyants de folie dionysiaque se braquent sur moi. Elle s’approche, les crocs ruisselants de stupre. Un voile me recouvre, ingénue en mal de perversion.

J’arrache l’étoffe, le corps soudain nu, pulsant au gré d’un tambour amoureux. Je bats ma poitrine de ma main, de mon poing. Je me jette aux pieds de la passion qui me larde, mon âme hurlant à la libération qui se refuse à moi.

Je veux sentir tes griffes sur mes chairs, mon cœur en lambeaux, mon esprit ravagé par tes assauts. Ramper dans la moiteur de ta fureur, lécher ton cuir luisant, brûler mes lèvres sur ton derme. Te supplier de me blesser, de m’amputer de ma raison, de me jeter dans les volcans, la lave dans ma gorge froide, si froide.

Pourquoi restes-tu de marbre ? Je suis à genoux, je t’implore, Ô tentatrice, saccage-moi, détruis-moi, écartèle-moi ! Ne vois-tu donc pas l’affreuse souffrance qui me transperce, la maladie d’amour qui me transporte dans les enfers les plus intimes ?

Tu fuis, bête noire de mon adoration ? Toi qui baises les éléments ? Je me soumettrai, te torturerai, te donnerai tout ce que je possède pour sentir ta langue de flammes sur ma peau incandescente.

Je suis un torrent de feu contenu par le barrage de ma peau, mon humanité la cage de mon désir fulgurant, tout puissant. Une enfant qui ne sait que faire de ses mains, insatiable, rivée aux crochets de la frustration.

Je crie le nom de l’être aimé dans ma nuit, dans mes silences, moi qui suis réduite à l’impuissance. L’or fuit de mes yeux amoureux, mon être tremble sous l’emprise d’un séisme, et je prie de me désagréger dans une explosion des sens.

Je t’implore… Offre-moi les peines et les peurs et les extases douloureux et les orgasmes fabuleuses, un autodafé langoureux. Je briserai les tabous un à un pour ta caresse assassine, je descendrai dans les gouffres, m’abimerai, pour ton étreinte adamantine. Je hurlerai ton nom, te ferai jouir jusqu’à la déraison, jusqu’à la dissolution. Contemple les lambeaux de mon égo que je jette devant ton museau amusé.

Crucifie-moi ! Je te l’ordonne, si mes suppliques ne t’atteignent, dévore mes membres, fauche-moi, je te veux en moi, indécente et insolente, me répandre sur toi, sur moi, boire les océans salés de nos aphrodisies mêlées.

Je serai ton Andromède, et toi mon monstre, mon absolution, mon infâme religion. Mes mots s’épuisent sur le rivage de ton indifférence, mais ces vagues de passion creuseront la falaise de ta condescendance, dussé-je y passer mille ans, et, enfin, tu me rejoindras dans les eaux baptismales de mon amour conquérant.

Les portes d’Éleusis

Pierre-Henri de Valenciennes – The Ancient City of Agrigento

Les portes d’Éleusis sont closes. Je tambourine sur l’airain, m’écorche les mains

Bronze silencieux, ne me livreras-tu nul secret ? Les dieux se sont tus, les ménades ne dansent plus, seuls résonnent les cris du grand crucifié, du poisson supplicié.

Les hellénistes boursouflés d’ego psalmodient devant de vides tombeaux. Les sorcières s’offrent nues sur les réseaux. Les grands mystères sont devenus misère.

Alors j’érige un nouveau temple, colonnes d’obsidienne, cariatides marbrées de rêves. J’explore le temenos de mes caprices, je circumambule jusqu’au naos de mes délices, où orphisme et onanisme se mêlent dans une quête sparagmante.

Le fil rouge de la destinée jaillit de mes paumes. Je redécouvre Lesbos, ses falaises de craie blanche, le sang de la poétesse dans les eaux d’Azur. Je me prosterne devant mes propres mots, puisés dans les éons enchantés de temps retrouvés. 

Le flambeau est tombé. J’en brandis un nouveau, une torche dans le gris, une flamme dans l’ennui. Un feu de poésie.

Adonisia

Les chansons de Bitilis – George Barbier

Morte depuis tant de siècles, je m’éveille aux chants voluptueux de l’Orient mystérieux. Les tambours et les cliquetis clament une ère oubliée, plus tout à fait aujourd’hui, ni même hier.

La lumière ocre berce mes paupières encore endolories, engourdies par de tendres rêves, de cruelles oniries. Le souffle de la déesse me parvient. La myrrhe. Et la rose. Les encens de Cypris, l’éternelle étrangère.

Je me coule dans un bain de lait, mon corps cadavérique s’extrait de la torpeur mortifère pour celle, douce et sensuelle, d’un appel bien fécond.

Tes voiles me recouvrent, déesse des paresses, patronne des indolences, reine de l’insolence. Tes mains caressent ma peau d’un souffle incertain, me plongent dans les eaux baptismales où je recueille mon nom, oublié depuis les éons.

Les mots doux des enfers se font plus lointains, ton étreinte les chassent de mes chairs, et c’est un autre souffle qui m’étreint, pneuma licencieux, ô combien délicieux…

Je serai ton Adonisia, Ô déesse des passions, et j’oublierai la grenade pour la pomme d’or que tu croques devant moi, jus sucré que tu m’offres dans une chaude félicité.

Paris

Meissonier, Ernest France, Musée du Louvre, Département des Peintures, RF 1942 31 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010064313 – https://collections.louvre.fr/CGU

Paris s’incarne en toi, sirène de sang, ta main blesse la mienne quand tu m’entraînes dans la ruelle froide comme mon tombeau, ma morgue à ciel ouvert. Tu me lardes de ton couteau, tu me dardes la peau, tu trempes la ville dans mon corps mutilé d’amour.

Les murs crient ton nom, échos de mon abnégation. Invocation. Devant nos cadavres la rue se déchire, hymen de béton, blessure de pierre et de métal. Nous y pénétrons, nous immergeons dans son utérus urbain, nos mains se joignent, fusionnent, tes os dans ma chair, union des tendons, souffrance extatique.

La rue nous avale, les cieux froids se ternissent, les intestins poisseux de la cité monde nous happent, nous étouffent, nous chient. La danse des viscères.

Deux corps. Un corps. Meurtrissure. Tes murs se referment sur moi, m’enferment, moi que la ville toute entière, prisonnière de tes chairs, baise comme la putain sacrée. Saint-Denis, Clichy, Boulogne, j’écarte mes cuisses et t’accueille, Louve de Paris, bordel au bord de l’eau.

Enceinte de toi, la cité-neuve grandit dans mon ventre, mon ventre gros de ta malédiction. J’accoucherai d’une autre Paris, la nôtre, teintée de sang de cyprine de folie de désir de magie et de la plus impure poésie.

Apophisa

Colin Lloyd

Niché au plus profond de mes entrailles, le serpent s’éveille, vocifère.
 
Vipère, tu t’enroules sur mon désir comme autant de viscères, tes crocs percent l’eden de ma peau, jardin empoisonné de toi.
 
Le feu du venin me met à genoux devant non-Dieu, Lilith à la langue de lave, lèvres au goût du manque.
Je suis la flagellante luciférine, la reptation interdite.
 
Ton néant m’emplit d’un chant cruel, d’une adoration funeste. Prière sans paroles, os brisés et viande dévorée.
Noire Apophisa j’offre mon monde intime à ta dévoration, Ouroboros de plaisir et de délectation.
 
Ointe-moi de ta vénéneuse écume, fais de moi la chevaleresse de ta divinité, la Pythie de ton aspic, digère-moi toute entière, moi l’Aphrodite de ton danger.

Cœur Océan

Ship in a Stormy Sea – Vladislav Shurganov

Je suis les abymes tempétueux d’une mer indomptée.

Je suis la fille née de l’écume.

Mille vies de larmes, voilà mon cœur océan, mille vies de richesses, de blessures et de beauté, offertes à ma future.

J’attends ma piratesse, ma courageuse, mon héroïne qui plongera de toute son âme nue dans mes eaux brûlantes de la passion des éons.

À toi, alors, mon inconnue, les trésors et l’or et les étoiles… car ne sais-tu pas que le ciel est mon reflet ?

Ce que tu vois, quand tes yeux se perdent dans les nuées, c’est mon âme qui t’appelle, qui brille pour toi depuis l’éternité et qui te guide vers le port de ta destinée.

Ne demeure pas sur le rivage comme ces êtres ternes : tu n’es pas de gris, tu n’es pas de froid.

Les navires conquérants, je les broie.

Les esquifs hésitants, je les noie.

Seul le radeau de ta vérité, habillé des voiles de tes espoirs, pourra me braver, me dompter et, après une tendre Odyssée, enfin m’embrasser.