Pour beaucoup de femmes autour de moi, la lignée est importante, qu’elle soit un héritage enrichissant ou difficile, parfois les deux à la fois. Il y a la terre et la mère, un seul et même ventre dont nous jaillissons.
J’ai beaucoup souffert de n’avoir nulles racines. Oui, je suis née en région parisienne, mais j’en ai été arrachée très jeune. Oui, je connais ma mère, j’en suis même proche, et pourtant, je me sens en décalage perpétuel avec ma famille…
Il m’a fallu des années pour comprendre que ma lignée n’était pas de sang, mais de mots. Le cordon ombilical est pour moi un fil d’Ariane, qui remonte de poétesse en poétesse, jusqu’à Sappho, peut-être même Enheduanna… Poétesses et prêtresses, d’Aphrodite ou d’Inanna, et de tant d’autres…
Quant à la terre, il m’a fallu me rendre à Lesbos, cette terre-mère des poétesses (pendant l’Antiquité, il suffisait qu’une poétesse soit femme pour qu’on la dise de Lesbos), pour enfin saisir cette sensation de chez-soi. L’île m’a accueillie comme sa fille, comme son amante, et elle a pris soin de moi, m’a nourrie, m’a langée, m’a abreuvée, m’a baisée, je m’y suis sentie héritière, comme jamais auparavant.
Cet héritage coule dans mes veines, je me le suis tatoué sur la peau, et je l’accueille, consciente qu’il coûte tout. Les poétesses sont rarement des femmes heureuses, la lignée est tout aussi maudite que celle de ma mère et de mes sœurs de sang, peut-être plus encore. Pire, elle compte tant d’illustres parmi les illustres qu’elle dévore ses descendantes, les soumet à son joug terrible et exige d’elles leur sang, leurs larmes et leur cyprine, tout ce qui les fait femmes.
Accepter cette lignée, répondre à son appel, c’est prendre le risque, de devenir soi-même une figure tragique, ce qui est beau en littérature, beaucoup moins dans la réalité. C’est aussi se couper de cette réalité, car le ventre dont nous venons, nous poétesses, est de brumes et de poisons.
Pourtant, je l’accepte pleinement, et cette soirée de scène, le vendredi 26 janvier, en compagnie d’artistes de la plus mystique des forêts, était pour moi un rite de passage, 𝑎 𝑐𝑜𝑚𝑖𝑛𝑔 𝑜𝑓 𝑎𝑔𝑒.
Me voilà donc adoubée, moi qui prends cette charge, priant ma Déesse d’être clémente.