Cet article est l’occasion pour moi d’aborder un sujet qui me tient à cœur, complexe et que je ne vois que rarement discuté, en-dehors de la sphère amicale. Pourtant, si je n’ai pas conscientisé cela immédiatement lorsque je me suis lancée dans l’Art, il est indéniable aujourd’hui que c’est un des aspects primordiaux et qui n’est pourtant pas aisé à discuter, y compris (et surtout) avec des pairs.
Nous allons discuter Art, Dogme, Spiritualité, Religion, Sacré et Occultisme. J’espère que vous êtes prêts et prêtes…
Critique du dogme
Le dogme religieux
Depuis enfant et surtout mon adolescence, je me suis opposée à la pensée dogmatique. J’ai eu la chance de ne pas subir d’éducation religieuse, alors que j’ai grandi en Bretagne. Ici, il y a des villages où une école catholique existe, mais pas d’école publique et laïque, alors que nous sommes dans un État laïque depuis 1905, hormis pour l’Alsace-Moselle. Étonnamment, un gouvernement aussi fort, courageux et vaillant que celui de Macron, qui ose s’attaquer aux retraites avec une détermination digne d’Hercule (bon, plutôt la version que l’on voyait sur France 2 avec Ryan Gosling…), ne pense pas un instant à entreprendre le chantier d’un État entièrement laïque…. (premières lignes et l’article est déjà polémique).
Quoiqu’on en dise aujourd’hui en arguant qu’en France l’athéisme a dépassé la foi, il n’empêche que nous héritons d’un système de pensée et d’organisation sociale fortement influencé par la religion, notamment la religion chrétienne catholique. Si on s’intéresse on monde du livre, on voit déjà la place prépondérante que prend Vincent Bolloré (Editis et bientôt Hachette), catholique réactionnaire assumé, celle de Vincent Montagne (Média Participation), à la tête de la chaîne de télévision catholique française KTO, ou encore Lise Boëll, (anciennement Albin Michel et aujourd’hui à la tête de Plon) qui n’a pas hésité a publié Éric Zemmour et Philippe de Villiers.
Dès lors, on peut difficilement nier que le milieu de l’édition est fortement teinté de catholicisme, et pas dans la vision universelle de l’amour et du partage, mais bien dans sa frange (devrais-je dire fange ?) réactionnaire et, disons-le, dogmatique.
Art et chrétienté sont liés depuis des siècles, cela dit, et la religion a longtemps été le seul sujet possible pour les artistes, dévorant la création comme elle sait si bien le faire. C’était bien sûr déjà le cas chez les artistes antiques, mais le rapport au religieux demeurait sensiblement différent.
Mon but ici n’est tout de fois pas d’attaquer la religion (Schopenhauer le fait de toute façon très bien dans son essai Sur la religion), car si j’ai longtemps été anticléricale, ma position s’est adoucie sur le sujet. Je voyais la fonction de prêtre comme une sorte de police religieuse visant à imposer le dogme et, si le bon vieux curé de campagne sûr de lui existe toujours, on ne peut limiter la prêtrise à cela. Le prêtre a désormais pour moi un rôle similaire à un psychologue, un coach de vie, un conseiller conjugal ou encore un astrologue. Et comme avec toute profession, il y a des individus qui apporteront beaucoup à la personne qu’elles accompagnent et d’autres qui seront des gros cons.
Cette distinction est importante pour moi : on peut utiliser les textes religieux, les questionner et y puiser beaucoup de sagesse pour partager des images communes et encourager les individus à s’émanciper. Et on peut les utiliser pour ôter le libre arbitre et manipuler la pensée. C’est la différence entre la spiritualité et le dogme à mon sens, car je définis (et ça n’engage que moi) la spiritualité comme un parcours intérieur, une connexion avec le plus grand que soi, quel qu’il soit, afin de trouver de la paix et cet espace si subtil d’accord avec soi-même. C’est une reliance, que l’on peut trouver par la pratique religieuse certes, mais aussi de mille autres manières, dont l’Art fait assurément parti.
Le religieux s’est pendant des siècles accaparé la sphère du sacré, non pas parce que les textes et les messages étaient conquérants (le Christ prône tout de même l’amour universel et le pardon…) mais parce que les institutions religieuses y voyaient un enjeu civilisationnel et politique. On ne marchande pas sa conscience par des lettres d’indulgence, ce que le Protestantisme a combattu, tout en laissant la place un puritanisme dur, tout aussi dogmatique.
Aujourd’hui, ce dogmatisme est un enjeu politique majeur en France et ailleurs. La montée de l’extrême-droite, le sexisme et la culture du viol (si ça ne représente qu’une mention dans cette longue partie, je tiens à rappeler que c’est un des enjeux majeurs de notre civilisation, que les institutions religieuses ont largement amplifié, et que l’Église catholique est fondamentalement misogyne), les théories de grand remplacement, la peur des LGBT, l’islamophobie et globalement le rejet de l’autre puisent fortement dans ce dogmatisme religieux chrétien et cette pensée limitante.
La raison pure
Lorsque je parle avec des Français ou des Françaises, il n’est pas rare que j’entende le mot « cartésien » pour les définir, ce qui représente le plus souvent un rejet de la foi chrétienne, mais aussi et surtout de toute forme de spiritualité.
Le cartésien, c’est celui qui va vous adresser un sourire compatissant lorsque vous déclarerez que vous tirez les cartes ou que vous vous intéressez à l’horoscope. Pauvre vous ! vous avez besoin de ces joujoux parce que vous n’êtes pas assez fort pour affronter la réalité du monde : tout n’est qu’un chaos ordonné matérialiste.
Le cartésien, souvent, est paresseux. Il se contente de tout rejeter d’un bloc et de prétendre suivre la raison pure (bon, le mot « pure » sera peu employé, car le cartésien ne connaît pas Descartes, il en a juste entendu parler au lycée, peut-être, quand il écrivait des mots sur l’agenda de ses copains).
Alors, quand on expliquera au cartésien que la science est une croyance, là ça deviendra un peu plus compliqué… En effet, si Descartes a très bien construit son Je pense donc je suis, qu’il est difficile de réfuter (je ne m’y essaierai pas), il a instauré en France une pensée matérialiste et de raison pure, partant du postulat que par le raisonnement seul on pouvait tendre vers la vérité. Ainsi, l’être humain peut, par son esprit, comprendre le fonctionnement du monde.
Bon, rappelons tout de même vite fait bien fait que Descartes était chrétien…
Je ne vais pas faire d’essai philosophique pour m’attaquer à la raison pure et en faire la critique (j’ai essayé de lire Kant, ça l’a pas fait), je n’ai pas le parcours en philosophie adéquat pour une telle tâche et je n’en ai pas non plus la prétention. Je vous engagerai par exemple plutôt à vous tourner vers l’excellent Sorcières de Mona Chollet qui fait un travail prodigieux pour attaquer cette illusion de pensée froide et, somme toute, très masculine (car oui, n’oublions tout de même pas que les femmes n’ont pas un cerveau suffisamment développé pour toutes ces conceptions hautement mentales. Peut-être est-ce pour cela que je ne me lance pas dans un tel essai philosophique, pauvre femme que je suis ?).
Toujours est-il que je trouve l’idée bien présomptueuse et anthropocentrée. L’être humain n’est pas un être de raison, c’est un animal dont le fonctionnement est basé sur l’émotion. « Oui mais » me lance mon petit cartésien au fond de la classe, « les émotions ce sont des réactions physiologiques, elles sont donc matérielles ! ». Très bien, mon cher cartésien, mais dans ce cas, il est donc impossible de nier que nous sommes soumis à de tels réactions physiologiques, matérielles, et que donc notre pensée est conditionnée par des émotions. Or, l’émotion est l’inverse de la raison, elle est instinctive, primaire, animale. On ne peut séparer l’homme de son émotion (à priori, pour la femme c’est un acquis qu’elle est de nature émotionnelle de toute façon, donc pas besoin de préciser…).
La raison pure est pour moi un idéal (enfin, pas le mien) inatteignable et théorique, une direction à suivre notamment dans le cadre de processus de réflexion. Être cartésien devrait être à mon sens l’engagement de faire de son mieux pour pratiquer la pensée critique, tout en acceptant le principe que celle-ci n’est pas abstraite et déconnectée du corps. D’ailleurs, cette déconnexion entre le corps et la matière est au cœur du système de représentations occidental. On le retrouve dans le Christianisme, avec l’Esprit et la Matière, dans le cartésianisme, avec la séparation entre la Raison et l’Émotion, mais aussi dans la pensée antique et notamment l’orphisme, le néoplatonisme et la gnose. Là encore, Mona Chollet en parle admirablement bien car la réappropriation du corps est un des enjeux de la lutte contre le patriarcat.
Un autre schéma de pensée descendant de Descartes, et à mon sens tout aussi terrifiant que le dogmatisme religieux, est le scientisme. Le scientisme, c’est dire « la science dit que… », ou encore « je crois à la science… ». Bon courage pourtant pour dire à un scientiste (aucun scientiste ne se qualifiera de tel) que la science est une croyance et que ses propos sont justement à l’opposée de la démarche scientifique.
Je vous invite à ce sujet à regarder la vidéo d’Aurélien Barrau (merci Amélie pour la découverte) qui parle admirablement bien de ce qu’est la science.
Pour faire le lien avec la spiritualité et le sacré, la science n’est ainsi pas en opposition avec celle-ci et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’études scientifiques ayant prouvé l’existence du sacré (rien que cette phrase ne veut rien dire…) que celui-ci n’existe pas.
Conclusion
Ainsi, la posture religieuse et dogmatique comme celle du scientisme et de la raison déconnectée du corps ne me conviennent pas, et je les trouve même dangereuses. Cette explication ne semble pas liée à ma pratique de prime abord, mais j’était hélas obligée de définir ces cadres dogmatiques pour pouvoir expliquer par la suite mon positionnement par rapport à l’Art sans que l’on m’objecte que je suis une hippie new age déconnectée (je ne suis pas hippie et je suis plutôt new wave que new age).
Aparté sur le new age
Aujourd’hui, la littérature dite ésotérique (qui n’a rien d’ésotérique car l’ésotérisme représente les enseignements d’une école inaccessibles au tout venant, et donc pas de la transmission publique, que l’on devrait appeler exotérisme, mais soit…) se développe à vitesse grand V. Les rayons débordent, il y a des centaines de jeux de tarots différents, les chaînes d’astrologie sont légion sur Internet, et la sorcière de Tik Tok fait un carton dans les ventes (j’ai feuilleté son livre, on peut difficilement imaginer pire arnaque).
Le new age américain s’est propagé comme une traînée de poudre, nous apportant des réinterprétations des légendes, mythes et images syncrétiques et polluées teintées d’une vision américanisante du monde, à la frange de l’appropriation culturelle.
Les vérités sont dès lors assénées et nombreux sont celles et ceux qui se jettent sur les pierres pour pratiquer la lithothérapie sans aucun égard pour l’approvisionnement éthique de celles-ci, ou encore utilisent du Palo Santo, ce qui provoque là aussi un désastre écologique. Je pense aussi à l’égo spirituel, cette prétention que, parce que l’on travaille sur des thématiques dites spirituelles, on est soi-même plus évolué. La saison 3 de You est délicieuse pour cela et je vous la conseille allégrement.
Ainsi, la sphère de la spiritualité, quand elle n’est pas violentée et dévorée par la religion, est aussi prise d’assaut par le capitalisme, dont les valeurs sont pourtant aux antipodes, tandis que des cohortes de personnes appliquent à nouveau des dogmes sans aucune pensée critique. Les réseaux sociaux sont affligeants pour cela et trouver des comptes sérieux relève du chemin de croix (avec mauvais jeu de mot). Mon amie Xenia Vetsera en parle admirablement bien sur sa page Instagram.
De mon côté, j’ai adopté pendant des années une posture philosophique sceptique, un exercice conscient pour remettre en doute ce que je percevais de la réalité et dépendre le moins possible de croyances. Bien sûr, c’était là-aussi une direction et non pas un absolu, car nous sommes toutes et tous perclus de croyances, conscientisées ou non. Cette posture m’était intéressante d’un point de vue intellectuel, mais j’ai fini par l’abandonner volontairement car je ne la trouvais pas très nourrissante d’un point de vue émotionnel et artistique.
J’ai définitivement abdiqué cette posture lors d’une promenade dans les bois, alors que je m’intéressais déjà à l’Astrologie et au Tarot. Je me souviens très clairement m’être interrogée quant aux conséquences d’accepter de croire dans une symbolique qui me parlait fortement et de laisser libre court à ma foi, sans égard pour le rationalisme cartésien. J’en suis venue à la conclusion que si ma foi était infondée et que je me trompais, cela n’aurait nul impact : je ne perds pas mes capacités de réflexion ni mon esprit critique, puisque je n’intègre pas de croyance dogmatique et que ce chemin est en moi. Dans le pire des cas, j’apporte de la poésie et de la magie à une réalité froide et matérialiste que je n’aime pas et, quand bien même les matérialistes auraient raison, ma vie serait subjectivement plus belle que si je me conformais à une autre croyance, pseudo-objective (les matérialistes ne sont pas encore parvenus à prouver quoique ce soit). Et si la réalité est plus subtile, que les anciens l’avaient mieux perçue que nous, que les dieux et les fées et la magie sont parmi nous, derrière un voile de brume, alors j’ai tout à gagner à y croire et à suivre mon instinct et ma poésie. Soit je ne me trompe pas, soit je me trompe. Dans tous les cas, ma vie s’en retrouve embellie.
Bien sûr, il ne s’est pas agi de choisir dans un catalogue de croyances celles qui me semblaient pas mal, mais de suivre mon cœur et mes aspirations, ce qui résonne en moi, ce qui me procure de l’émotion.
Art et spiritualité
Littératures de l’imaginaire et profanes
J’écris principalement dans les littératures de l’imaginaire, un terreau fertile pour explorer des thématiques tels que les légendes, les mythes, la magie, la superstition ou encore le surnaturel et le paranormal. J’ai toutefois l’impression qu’aujourd’hui, lorsque l’on parle de ces sujets, on demeure uniquement dans le stade de la culture et de la métaphore. Je suis intervenue à de multiples reprises autour de ces sujets avec des pairs et s’il peut arriver de parler de croyances, celles-ci seront soit celles de l’univers d’un livre ou d’une œuvre – n’engageant en rien leur auteur ou autrice –, soit celles d’un peuple ou d’une culture de référence.
Dans les discussions, la dimension sacrée et spirituelle de tels sujets est systématiquement absente, alors que ça n’a pas toujours été le cas. Si l’on se penche sur des auteurs et autrices du XIXe voire du début XXe, on trouve énormément d’artistes qui étaient passionnés d’occultisme. Je citerai par exemple l’Ordre hermétique de l’Aube dorée, fondé à Londres en 1888, et qui accueillait en son sein des poètes, écrivains, conteurs, peintres et acteurs reconnus. Cet ordre avait pour vocation d’étudier la Kabbale et les Arts Divinatoires. Le tarot le plus utilisé aujourd’hui dans le monde et qui a supplanté le tarot de Marseille, le Ride-Waite-Smith, a ainsi été développé par des membres de l’Ordre hermétique de l’Aube dorée.
En France, le XIXe était teinté d’orientalisme et les artistes faisaient tourner les tables entre deux chevauchées du dragon ou tournées d’absinthe. Le grand Victor Hugo, sommité qu’il suffit de citer pour accorder à tout texte la plus éminente respectabilité, y participait, tout comme Théophile Gauthier ou Arthur Conan Doyle.
Essayons donc, pourtant, de parler d’esprits, de fantômes ou de fées lors d’une table ronde de l’imaginaire… Tout ce que vous obtiendrez sera de la stupéfaction et, probablement, un gentil mépris.
Cela est dû à plusieurs raisons, selon moi. Tout d’abord, il y a ce scientisme prégnant en France et une pudeur à parler de ces sujets au grand jour, alors que si vous interrogez les individus sous le couvert de la nuit et d’une ambiance un peu mystérieuse, le paranormal redevient un sujet de curiosité, mais aussi empirique. Beaucoup de personnes de ma connaissance m’ont partagé des événements mystérieux, incompréhensibles et, disons-le, surnaturels. Aussi bien des personnes croyantes qu’athées, intéressées ou non par le sujet, et quelque soit le niveau d’étude. Loin de moi l’idée d’affirmer que de fait le paranormal existe, mais ce que l’on ne peut nier c’est que même en 2023, des siècles après Descartes, les êtres humains s’interrogent toujours autant et sont toujours confrontés à des événements inexpliqués.
Je vous conseille la chaîne YouTube de Silent Jill qui fait un travail de qualité et documenté pour explorer ces thématiques tout en restant grand public.
Une des peurs que l’on croise aussi en France, c’est celle – légitime – de la secte et du complotisme. Et en effet, les contenus sectaires et complotistes pullulent sur la toile comme dans la vie et il est parfois difficile de faire la part des choses, surtout lorsque l’on est peu éduqué sur la question. Hélas, beaucoup de personnes, plutôt que de s’éduquer, se renseigner et s’intéresser, vont se fermer en bloc à toute la sphère du sacré et du spirituel, ce qui les rend de fait très vulnérables. En effet, l’être humain se tourne vers la spiritualité dans les moments difficiles et, lorsqu’un tel moment frappe (par exemple le deuil), on peut facilement se faire manipuler, car en état de vulnérabilité.
Enfin, je pense que nous subissons l’élitisme littéraire parisien qui considère les littératures de l’imaginaire comme de la sous-littérature. Pour défendre nos littératures, nous adoptons ainsi une posture « sérieuse », documentée, froide et distante, comme pour se mettre au niveau de ces « élites » littéraires et réclamer notre légitimité. Ainsi, si moi, Morgane Stankiewiez, j’écris sur les sorcières et que je parle des chasses aux sorcières de façon factuelle, dénonçant les processus de marginalisation et d’appropriation par les hommes des prérogatives féminines tout en créant cette image sataniste du bouc-émissaire, on pourra difficilement me reprendre. Si je dis que, par ailleurs, je me considère moi-aussi comme une sorcière et non pas uniquement comme positionnement féministe mais aussi comme croyance et pratique spirituelle, alors toute ma posture vole en éclat et on me considérera comme une benête qui n’a pas compris l’importance de la métaphore, voire même comme une mauvaise représentante du combat féministe.
Car oui, on a persécuté, torturé et exécuté des milliers – si ce n’est des millions – de femmes pendant la panique des chasses aux sorcières de la Renaissance (ce doux moment où l’humanisme est né…), et la plupart de ces femmes n’étaient en rien des sorcières. Le terme même de sorcière est une étiquette accolée par les persécuteurs, car peu de ces sorcières se seraient revendiquées comme telles : au pire étaient-elles rebouteuses, guérisseuses, voire astrologues ou magiciennes.
En parlant de femmes, il est aussi à noter que l’immense majorité des échanges que je peux avoir autour du paranormal, du surnaturel, de l’occultisme et du sacré est avec des femmes. Tout comme les femmes sont en immense majorité celles qui s’intéressent au tarot ou à l’astrologie (la parité dans les chaînes YouTube, c’est pas ça). On retrouve encore cette notion de trucs de bonnes-femmes. D’un côté, en tant que femme, on acceptera mieux qu’on puisse s’intéresser à ces sujets, mais ça risque de nous décrédibiliser. Tandis que pour les hommes, c’est l’omerta. Je vous renvoie à cet excellent article de Slate qui parle de la consultation de psychologues par les hommes, car c’est pour moi le même sujet : les hommes explorent beaucoup moins leurs émotions, que ce soit par le biais de la thérapie ou du sacré.
D’ailleurs, même dans l’approche ésotérique il y a un clivage archétypal entre hommes et femmes. On imaginera plus facilement le magicien comme un érudit plongeant dans les arcanes du savoir et la magicienne comme une exploratrice du corps et de la sensualité, alors qu’il n’y a nul besoin d’exclure le corps ou l’esprit. Encore notre vision occidentale binaire et duale.
Bien sûr, il s’agit là de généralité, j’ai beaucoup de discussions passionnantes autour du sacré dans le cadre de mon travail dans l’édition, et ce de plus en plus, mais cela reste dans la sphère du privé et rarement avec des hommes.
L’Art sacré
Je n’ai pas toujours cerné le sacré dans mon art. Lorsque j’ai commencé à écrire sérieusement des romans, en 2015, mon approche était essentiellement ludique. Je parlais de mageresses (terme que je m’approprie aujourd’hui à titre privé) comme l’on parle de chevaliers : nul besoin de s’astreindre soi-même à un code de chevalerie pour écrire sur Ivanhoé ou Arthur Pendragon, il suffit de comprendre ces codes et des les appliquer à ses personnages.
Ainsi, dans mes premiers romans, je ne réalisais pas encore pleinement le caractère sacré de mon art, même si j’avais déjà une conscience aigue de son caractère émotionnel, ce que je recherchais avant tout dans l’écriture et la lecture.
C’est ma rencontre avec ma meilleure amie qui m’a aidée à prendre conscience que mon art était aussi mon âme et que tout ce que je mettais dedans, c’était moi, dans toute mon intimité et ma réalité. Cela s’est vérifié par la suite par un processus de prophétie.
Oui, j’ai employé ce gros mot. Je le déteste, d’ailleurs, dans les romans. Il est si souvent mal utilisé et galvaudé, c’est devenu un poncif, notamment en fantasy, et globalement, quand je le vois dans un manuscrit, c’est presque à un rejet systématique du texte qu’il faut attendre. En fait, c’est toute la question entre littératures de l’imaginaire et mythe et leur perméabilité. Dans des textes superficiels, la prophétie est vue comme un outil narratif permettant de justifier la place d’un personnage dans le récit qui, sans ladite prophétie, se verrait relégué au nettoyage des latrines. Alors que la prophétie, dans ma conception actuelle, dépasse le cadre de la fiction et s’impose à la réalité. Rien que ça.
Dans Isulka la Mageresse, je parle d’une mageresse qui se cherche et qui vivote, artiste sans le sou, extravertie notoire, langue pendue au grand cœur. Dans Hex in the City, je parlais de Taylor, une sorcière contemporaine coincée dans un rôle, qui n’ose assumer qu’elle est lesbienne et qui rêve de s’émanciper et de devenir qui elle est.
J’ai écrit ces textes à une période où j’étais socialisée homme et où la vie de ces deux héroïnes était aux antipodes de la mienne. Aller sur scène ? Être une sorcière ? Faire un coming-out lesbien ? Autant de conceptions que je n’imaginais pas vivre un jour et que je faisais passer à travers le récit.
Et puis, je suis devenue tout cela. Alors certes, je ne vis pas dans le Paris du XIXe et je ne lance pas de boules de feu, la métaphore demeure de la métaphore et elle a sa place dans la fiction, mais ma vie est bien plus proche aujourd’hui de celle de ces deux héroïnes que de mon rôle d’alors. En ce sens, j’ai écrit sans m’en rendre compte des prophéties dont le sens m’est apparu bien plus tard, une fois qu’elles s’étaient réalisées. Comme toute prophétie…
On peut interpréter cette expérience par le prisme de la psychanalyse, j’en suis sûre, et parler d’archétypes et tout… Mais on peut aussi aborder mon expérience par le biais de la magie, du sacré et de la spiritualité, sans que cela entre en contradiction avec la psychologie. La dualité occidentale voudrait compartimenter l’expérience de vie, la séparer, la découper. De mon côté, je pense que l’holistique est bien plus savoureux.
Dans le second tome d’Isulka la Mageresse, l’antagoniste, Dresilla, est une femme transgenre, magicienne picte opposée à la chevalerie d’Arthur dans une interprétation bien incomplète et personnelle du mythe. À l’époque, je n’avais pas encore pris le nom de Morgane et tout cette charge symbolique et spirituelle qui en découle, mais ne suis-je pas devenue depuis une autre face de cet archétype féminin ? Ne suis-je pas une guerrière féministe qui profite de ses livres et de sa voix pour mener aux côtés de sœurs ce même combat ? Je ne manie pas la hache comme Dresilla, mais j’endosse la même charge, la même responsabilité, je suis elle autant qu’elle est moi. J’ai demandé à Morgane de m’adouber et de me bénir de son nom : ce choix n’était pas anodin, quoiqu’alors inconscient, et il reflète la magie de mon monde. Il m’a donné le pouvoir de me transformer, de devenir celle que j’étais.
Tous mes textes ne reflètent pas cette même magie, tous fonctionnent différemment, ont leur essence propre. Certains sont des combats à eux-mêmes (je pense à Zhaodi) et d’autres sont là aussi des sortilèges empreints de mon mysticisme personnel (par exemple Ereshkigal).
Aujourd’hui, je suis également astrologue, ce que, de même, j’exprime peu en public. Encore apprentie, mais passionnée néanmoins, cette étude me demande beaucoup de temps et d’investissement. L’Astrologie est un autre prisme, une autre langue du vivant pour s’approcher de l’identité et mettre des mots et des concepts sur l’existence. Là aussi c’est holistique : je suis passionnée de mythes, j’aime les interpréter, les interroger et je suis persuadée qu’ils ont encore tant à nous dire. Ce n’est pas surprenant si les œuvres qui abordent les mythes sont si nombreuses (je pense notamment, mais pas que, au merveilleux Circé de Madeline Miller). L’Astrologie, c’est l’Art de relier sa vie terrestre au mythe, c’est chercher les clefs de compréhension de l’existence dans ce lien si ancien entre les étoiles et les allégories mystiques.
C’est accepter le mystère, également. Nous regardons le ciel sans regarder le ciel. Les constellations utilisées dans le Zodiaque se sont déplacées d’un point de vue géocentrique (on appelle ça la précession des équinoxes, terme digne de The Witcher mais bien moins spectaculaire), si bien que le lien entre Astronomie et Astrologie est plus tenu que jamais. Je ne sais pas expliquer à quelqu’un pourquoi est-ce que tel placement des Astres a un impact sur nos vies et je ne peux même pas prouver qu’il en a un. Pourtant, ce langage fonctionne pour moi. Il m’a fallu des années d’études, mais mon thème astral me parle désormais et, mieux que cela, il me donne tout une langue pour interpréter et allégoriser mon existence, ce qui s’imbrique à la perfection dans mon Art (l’Astrologie est un art) et permet de me définir, en tant qu’individu.
Entre mes œuvres, l’Art, la magie, ma spiritualité, mon thème astral, mon travail en thérapie ou encore mes échanges avec mes proches, le mystère qu’est la vie humaine se drape d’un sens, peut-être illusoire, sans aucun doute allégorique, mais infiniment nourrissant et profond et qui me permet de remythologiser mon existence.
Bon, là je crois que je vous ai définitivement perdus… Pour résumer ma posture et mon expérience de manière plus intelligible : je suis désormais en capacité d’intégrer ma vision de moi dans une réalité multiple. Artistique, psychologique, personnelle, sociale, philosophique, spirituelle et mythique, le tout de façon holistique, organique, évolutive et (à peu près) cohérente. L’Art a été ce liant universelle des champs d’expérience de ma vie et il est ainsi indissociable de mes identités.
Conclusion (enfin !)
Si j’étais morte sans avoir rédigé cet article et qu’on avait étudié mon œuvre avec le prisme universitaire (imaginons que ma mort est suffisamment tragique pour qu’une telle étude soit faite, d’accord ?), tout cela n’aurait sans doute pas été vu ou perçu, car je l’ai peu exprimé, à part à mes proches. On aurait sans doute distingué des tendances dans mes écrits et on aurait identifié cet intérêt pour le féminin et l’image de la sorcière, sans pour autant nécessairement me faire porter cette identité.
Toujours est-il qu’à mesure que je conscientise ma plume, mon écriture et mon parcours, il m’apparaît que mon art se développe à la musique de mon âme et gagne en profondeur de texte en texte. Vous comprendrez en tout cas pourquoi on ne saurait séparer l’autrice de l’œuvre.
PS : voici donc une bande son idéale après la publication de cet article :
Un avis sur « L’Art, le Sacré et la Raison »