En tant qu’autrice, il fallait bien que je vous parle à un moment de littérature et de mon rapport à celle-ci et à celles-ci. J’ai grandi avec les livres. J’ai le privilège d’avoir un père professeur et une mère passionnée de lecture et, enfant, je baignais déjà dans la littérature. D’abord les contes, puis les légendes arthuriennes, et bientôt les récits d’aventures comme Jack London et, un peu plus tard, Alexandre Dumas.
Ces auteurs ont marqué mon imaginaire toute jeune et j’ai toujours eu dans mon esprit un rapport puissant avec les histoires. J’ai grandi comme fille unique (j’ai de grandes sœurs, mais bien plus âgées) et mon imagination me tenait compagnie. Je racontais tout le temps des histoires. J’ai très tôt écrit, aussi. Dès que j’ai su le faire, à vrai dire, à coup de poèmes et de contes que ma mère dactylographiait. Oui, j’étais privilégiée, j’en ai bien conscience et je mesure ma chance.
Plus tard, j’ai découvert la fantasy, la SF et le fantastique, dans mes bibliothèques (en Bretagne il y avait déjà des romans de l’imaginaire à l’époque : encore une fois j’ai eu de la chance), et puis aussi par le manga et le Japon. Je lisais aussi des romans japonais, adolescente, même si je ne saurais plus donner les titres. D’ailleurs, mon imaginaire est fortement teinté par le Japon et parmi mes œuvres fondatrices de ces genres, il y a nombre de nippones (et pas toujours en littérature).
Pendant des années, je me suis arrêtée sur l’Imaginaire. J’ai lu un petit peu de tout, mais mon registre se limitait tout de même beaucoup à ce que l’on appelle aujourd’hui la SFFF (Science-Fiction, Fantasy et Fantastique).
Je suis cependant une fausse littéraire. Je rêvais de suivre des études de langues ou de littérature, mais j’ai pris une autre voie et je n’ai pas le bagage qui va avec. Je suis ainsi une drôle d’autrice et d’éditrice ; la plupart des personnes que je côtoie, surtout du côté éditeur, ont un profil littéraire, ce qui n’est absolument pas mon cas. Je suis une autodidacte et je prends mes racines partout : littérature, cinéma, musique, jeu de rôle, animation japonaise…
J’ai aussi beaucoup voyagé et c’est quelque chose de très important pour moi. J’aime découvrir de nouvelles choses, m’immerger dans l’inconnu, et quand on parle avec moi, ça peut même être fatiguant de m’entendre raconter mes anecdotes de voyages. Ma vie personnelle est marquée par plusieurs sauts dans l’inconnu, des prises de risques folles, et je me suis à plusieurs reprises totalement réinventée.
Cela se retrouve dans mon profil artistique. Si j’ai commencé par écrire de la fantasy, mon genre d’enfance, je l’ai mâtiné d’autres registres que j’aime tout autant et j’en ai fait un amalgame de mes différentes influences. Je n’ai pas eu le choix, j’avais déjà essayé d’écrire des choses classiques et ça ne fonctionnait pas. Ça m’ennuyait.
Quand j’ai découvert que je pouvais écrire cet imaginaire débridé, ça m’a passionnée. J’ai quitté mon entreprise et mon ancienne vie pour m’y dédier, puis pour créer Noir d’Absinthe, une maison d’édition reprenant cette impossibilité de me classer. J’ai ouvert ces portes à d’autres artistes, marginaux parmi les marginaux, qui me comprendraient et qui pourraient aussi m’apporter cette nouveauté dont je me nourris.
Et même là, j’ai fini par changer, malgré moi. À peine avais-je écrit ces histoires que je me lançais dans d’autres. J’ai commis de l’érotique, genre que je déteste au plus haut point pour tout ce qu’il colporte de lien chrétien et malsain au sexe. Et pire encore, de la romance, genre que je n’avais jamais lu. Peu à peu, j’ai touché à tout, incapable de m’arrêter dans une zone de confort, si bien que même une maison d’édition que j’ai créé autour de mon propre univers se retrouve trop petite pour mon rapport à l’Art.
En parallèle, j’explore d’autres arts, je m’ouvre sur d’autres univers. Je pense que l’on y retrouve toujours mon approche du monde, cette part de mystère et de sombre émerveillement qui fait partie de moi, de ma chair. Mon rapport à la littérature comme à l’Art est pluriel, impossible à limiter, c’est au creux de mes entrailles que la fibre créatrice réside et plus le temps passe, plus je m’y abandonne avec délectation.
Je ne sais pas bien ce que je suis, aujourd’hui. Pendant un temps, on pouvait me définir comme autrice de l’Imaginaire, mais ce temps n’a pas duré. Je réalise que c’est à la fois une force et une faiblesse. Il peut être compliqué de me suivre pour mes lecteurs, car tous ne sont pas aussi flexibles que moi et je dois en perdre beaucoup en passant d’un genre à l’autre, d’un univers à l’autre. Je ne serai jamais cette artiste qui s’épanouit sur un seul terreau. Que je peux admirer ces femmes et ces hommes… Alors que même une petite série dans le même univers, je ne parviens pas à la terminer.
Toujours changer, toujours se renouveler, toujours apprendre. Même cet article bruisse de mes contradictions, et j’apprends à les aimer de plus en plus. Ce sont finalement elles qui me définissent, car mon identité profonde a besoin de tous ces canevas pour s’exprimer et elle ne peut être comprise que lorsque l’on regarde un instant leur multiplicité.